14 – Le fantôme dans la machine : Deleuze et Guattari par-delà le corps et l’esprit – APPEL À CONTRIBUTIONS

Éditrice et éditeur invités : Chantelle Gray et Aragorn Eloff

 

Le problème de l’union du corps et de l’esprit—qui se réfère largement à la manière dont on comprend la nature de la conscience, ainsi que de ses avatars tels que la subjectivité et l’intentionnalité, et mieux connu sous sa dénomination anglophone ‘mind-body problem’—a été une question fondamentale en philosophie depuis ses débuts. Revendiquée par de nombreux « représentants de l’esprit »—comme les appelle Isabelle Stengers (1997 : 11)—la conscience a été l’objet d’étude de la psychologie, des neurosciences, des sciences cognitives, de la recherche sur les psychédéliques, de l’intelligence artificielle, de la religion et de la philosophie, tant et si bien qu’il n’existe pas de théorie unifiée. Les matérialistes, par exemple, soutiennent qu’ « il n’y a rien ‘d’autre’ dans le cerveau que des processus physico-chimiques ; or, la physico-chimie définit des états, et ‘explique’ le comportement d’un système à partir de ces états » (Stengers 1997 : 13) ; les métaphysiciens invoquent ce que l’on a appelé le « fantôme dans la machine » ; les nouveaux matérialistes plaident pour l’enchevêtrement [entanglement] (Barad 2007), soulignant la nécessité de « reconnaître l’encorporation du cerveau et l’encervellement du corps » (Braidotti 2017 : 33 [traduction libre]) ; tandis que d’autres encore s’accrochent fastidieusement aux notions de libre arbitre, d’agentivité et de but.

S’appuyant sur les sciences cognitives— un champ d’étude interdisciplinaire qui comprend la linguistique, la philosophie, la psychologie, l’anthropologie, les neurosciences et l’intelligence artificielle—John Protevi (2010) défend une approche deleuzienne de la cognition 4E-A, selon laquelle l’esprit est Embodied [incarné] (expérientiel), Embedded [intégré] (contextuel), Enacted [énacté] (émergent), Extended [étendu] (dépasse les limites entre structures cognitives et organismes individuels) et Affective [affectif] (réactif). Comme il l’observe, nous devons :

« aller en dessous du sujet jusqu’aux mécanismes automatiques, impersonnels, incarnés, cognitifs et affectifs. Beaucoup de ces analyses, en particulier dans les études sur la cognition (socialement) intégrée et (technologiquement) étendue, vont également le long du sujet jusqu’au milieu ou assemblage social et technique qui l’entoure immédiatement (ce passage à l’assemblage est ce que nous appellerons l’émergence transversale) ». (Protevi 2009 : 4 [traduction libre])

Jeffrey Bell (2006) considère lui aussi le problème corps-esprit d’un point de vue deleuzo-guattarien, en soulignant la rupture de Deleuze avec une pensée qui se cantonne au domaine de l’étendue en se référant au passage suivant de Logique du sens :

« Une conscience n’est rien sans synthèse d’unification, mais il n’y a pas de synthèse d’unification de conscience sans forme du Je ni point de vue du Moi. Ce qui n’est ni individuel ni personnel, au contraire, ce sont les émissions de singularités en tant qu’elles se font sur une surface inconsciente et qu’elles jouissent d’un principe mobile immanent d’auto-unification par distribution nomade, qui se distingue radicalement des distributions fixes et sédentaires comme conditions des synthèses de conscience. » (1969 : 124-125)

Autrement dit, Deleuze présente le champ virtuel ou pré-individuel comme coextensif à l’actuel, de sorte qu’il peut rechercher un « principe immanent d’auto-unification » pour rendre compte de l’élément génétique de l’expérience réelle. Tout comme Protevi, Bell explore les travaux sur la théorie des systèmes complexes, le développement comportemental et les neurosciences cognitives pour défendre une approche deleuzienne matérialiste de la conscience, suggérant, par exemple, qu’au lieu de considérer le cerveau comme un simple dispositif linéaire d’entrée-sortie, « avec pour conséquence le problème de relier ce dispositif aux actions d’un corps dans le monde » (Bell 2006 : 206 [traduction libre]), nous ferions mieux d’adopter une approche de la théorie des systèmes dynamiques qui considère la cognition comme un processus continu d’individuation impliquant des ensembles complexes de boucles de rétroaction itératives et de systèmes physiques étroitement couplés.

Aussi révolutionnaire que soit cette conception, résiste-t-elle aux nouvelles avancées des sciences neurologiques et cognitives ? La philosophie de Deleuze et Guattari peut-elle nous aider à réfléchir aux nouveaux développements de l’intelligence artificielle et aux problèmes posés par ce que l’on appelle la « raison algorithmique » et la gouvernementalité ? Comment Guattari, qui est avant tout un psychanalyste, profondément investi dans le fonctionnement de l’esprit et les processus de subjectivation, s’est-il attaqué au mind-body problem ?

Pour ce numéro, nous invitons les contributions empiriques et théoriques qui réfléchissent à la conscience dans une perspective deleuzo-guattarienne, en encourageant particulièrement les contributions qui se concentrent sur le travail de Guattari.

 

Les sujets abordés peuvent inclure, mais ne sont pas limités à :

  • Le contenu de la conscience et ses expressions épistémologiques.
  • La distribution de la conscience, c’est-à-dire sa relation avec la subjectivité.
  • L’esprit, la production du sens et la connaissance
  • Conscience et expression
  • La cognition 4E-A
  • Émergence et encervellement (embrainment)
  • Intention et agentivité
  • Propriétés phénoménologiques et philosophie différentielle
  • La structure de la conscience (s’agit-il d’une structure figure-fond ?)
  • Capacité cognitive en lien avec l’éthique ou l’esthétique
  • Intelligence artificielle, raison algorithmique et modes de pensée
  • Zen, méditation
  • Neuroplasticité
  • Langage et cognition

 

Envoyez le texte intégral (20000-50000 signes, espaces compris) à redazione@ladeleuziana.org avant le 15 janvier 2022.

Veuillez suivre les consignes aux auteurs et vous informer sur notre politique d’évaluation: our author guidelines and evaluation policy. Les règles de publication et notre modèle d’article sont disponibles sur le site de La Deleuziana dans l’onglet « Call for Papers ».

 

Langues acceptées : français, italien, espagnol, portugais et anglais.

 

Bibliographie

Barad, Karen (2007), Meeting the Universe Halfway: Quantum Physics and the Entanglement of Matter and Meaning, Durham and London: Duke University Press.

Bell, Jeffrey A. (2006), Philosophy at the Edge of Chaos: Gilles Deleuze and the Philosophy of Difference, Toronto and London: University of Toronto Press.

Braidotti, Rosi (2017), ‘Four Theses on Posthuman Feminism’, in Richard Grusin (ed.), Anthropocene Feminism, Minneapolis and London: University of Minnesota Press, pp. 21–4.

Deleuze, Gilles (1960), Logique du sens, Paris: Les Éditions de Minuit.

Protevi, John (2009), Political Affect, Minneapolis and London: University of Minnesota Press.

Protevi, John (2010), ‘Adding Deleuze to the Mix’, Phenomenology and the Cognitive Sciences 9:417–436, DOI 10.1007/s11097-010-9171-1.

Stengers, Isabelle (1997), Cosmopolitiques II. L’invention de la mécanique : pourvoir et raison, Paris : La Découverte.